vendee-globe-84-jours-et-quelques-plus-tard

Vendée Globe : 84 jours (et quelques) plus tard…

26.05.2025

Il y a des semaines plus courtes que d’autres. Celles qui succèdent à un Vendée Globe font indéniablement partie de celles-ci. Alors que les derniers jours en mer peuvent paraître interminables, les premiers à terre qui suivent une arrivée de tour du monde en solitaire ont plutôt tendance à filer à toute vitesse. Plus de 3 mois après la fin de son troisième Everest des mers, entre deux aller-retours en contrées helvétiques et une courte pause méritée, Alan Roura s’est (enfin !) prêté à son désormais traditionnel « entretien vérité ». 

Alan, comment se passe ton retour à terre ? 

Il est dur ! (Rires) Il est dur, parce qu'il y a plein de choses à gérer. Sur le plan personnel, il a vite fallu se réadapter car la vie ne s’est pas arrêtée pendant que je n’étais pas là, mes enfants ont grandi, ma femme a tout géré, et il fallait que je reprenne ma place et mon rôle rapidement. 

Sur le plan professionnel en revanche, c’est un peu comme si tout était resté figé pendant mon absence. Il faut donc tout récupérer en cours de route et rattraper ce qui n'a pas bougé depuis mon départ. Pas vraiment le temps de me reposer donc, tout s’est enchaîné dans la foulée de mon retour ! 

Et toi, comment te sens-tu ? 

Physiquement, ça va. J’ai un peu attrapé toutes les maladies qui traînaient, mais sinon, ça va. J’ai repris le sport très vite et j’ai rapidement retrouvé un rythme de sommeil normal. J'aimerais bien avoir un peu plus de temps pour moi, mais pour le moment j’ai la tête bien occupée, je cours partout, avec le bateau en chantier, ma société à gérer… Et je me suis cassé deux côtes dans une chute tout ce qu’il y a de plus bête. J’ai rêvé pendant tout le Vendée du jour où je remonterais sur mon vélo pour aller rouler un peu mais pour le moment, il est loin d’être arrivé ! (Rires)

Maintenant que tu as eu le temps d’analyser ta course, quel bilan tires-tu de ce troisième Vendée Globe ? 

D’un point de vue sportif, l’objectif le plus logique par rapport à notre bateau, ma préparation et nos moyens (tant humains que financiers) était d’intégrer le Top 15. Théoriquement, Romain Attanasio (14e) était une bonne cible. Il termine devant, mais avec seulement un jour d’avance. L’objectif n’est donc pas atteint, je termine 18e, mais à moins de 4 heures de Damien Seguin (15e). Tout est donc relatif, il y a évidemment du négatif dans ma course, des choses que j’aurais pu faire différemment, mais je me concentre surtout sur le positif. 

Le positif, c’est que j’ai considérablement réduit l’écart avec des marins qui, il y a 3 ans, me collaient deux jours sur une simple transatlantique. Aujourd’hui, je vais plus vite à toutes les allures que l’ancien skipper, on a terminé toutes nos courses, on continue d’apprendre, l’équipe et moi, nos sponsors sont plus que ravis… Pour moi, la victoire est là. 

La progression, c’est ce qui m’intéresse le plus. J’ai trouvé ces 3 années de préparation absolument géniales, je reste animé par la même envie…. Et je sais ce qu’il me reste encore à travailler pour améliorer ce que je peux encore mieux faire. 

Tu as donc encore une marge de progression ? 

Absolument ! Je continue d’apprendre constamment, et ce troisième projet m’a encore apporté énormément de choses. La performance en course au large, c’est un ensemble : marin, bateau et budget. 

Le budget, c’est ce qui permet de constituer une équipe suffisante pour que le bateau soit toujours apte à naviguer à 100%. Cela permet de ne pas être pénalisé en cas de casse pendant les entraînements, ou d’avoir suffisamment de matériel de rechange pour ne jamais être bloqué au port. J’ai la chance d’avoir une équipe composée d’excellents éléments, qui ont réussi à pallier la quantité par la qualité de leur travail. J’ai eu très peu de souci pendant mes courses, le niveau de préparation de mon bateau était au niveau des plus gros teams, et j’en suis extrêmement fier. En revanche, les chantiers nous ont pris plus de temps que pour les équipes où ils sont parfois deux fois plus nombreux, et nos mises à l’eau tardives, nos remises en route moins rapides, ou nos entraînements annulés pour réparer, nous ont coûté un temps précieux sur l’eau. J’ai plus que jamais conscience qu’il faut que j’arrive à naviguer plus. 

Et cela passe aussi par une meilleure organisation de mon temps à terre. En tant que Président de ma société, j’ai cette double casquette skipper-entrepreneur que de moins en moins de coureurs portent. C’était le modèle dominant il y a encore quelques années alors que les leaders ont désormais quasiment tous des profils de « pilote ». On ne se rend pas toujours compte de notre quotidien, entre tous les points budget avec mon équipe, les entretiens RH, les rendez-vous chez le comptable, à la banque, les décisions administratives et managériales… C’est du temps de repos ou de navigation de perdu. Il faut donc que j’évolue de ce point de vue là, en trouvant la personne qui pourra assurer à la fois la gestion de mon projet et la gouvernance de mon entreprise. Afin que je puisse me consacrer entièrement à ma préparation et continuer de gagner en compétences.

Quels sont ces axes d’amélioration ?  

Il y en a plein ! Niveau vitesse, il nous faut vraiment changer nos foils. J’ai souffert d’un déficit face aux bateaux plus récents, ou ceux dotés de nouveaux foils, auquel je ne pouvais rien faire. Ils tenaient des moyennes de vitesse sur plusieurs jours que je tenais moi au maximum sur quelques heures. Certains bateaux en sont à leur V3 de foils, les nôtres sont les mêmes qu’en 2019 et ce serait vraiment top de pouvoir les faire évoluer. 

J’ai aussi réalisé pendant le tour du monde que je n’avais pas suffisamment de données concernant mes nouvelles voiles. Le budget de fonctionnement dont je disposais ne me permettait de produire qu’un seul jeu de voiles neuf. J’ai tout misé sur la dernière année, pour partir sur le Vendée le mieux armé possible, mais cela a présenté un inconvénient que je n’avais pas anticipé : les polaires et sailect que nous avions enregistrées n’étaient plus à jour. Il m’a donc fallu les réadapter en temps réel pendant la course, ce qui m’a bien pris deux grosses semaines pour retrouver des data cohérentes. Cette expérience représente un apprentissage précieux, afin de penser différemment pour la suite. 

Et à mon niveau, si ce manque de navigation avec mes nouvelles voiles peut expliquer certaines mauvaises options stratégiques, j’ai aussi fait des erreurs d’analyse et de choix qui m’ont coûté très cher. Alors qu’à l’inverse, j’ai été très peu récompensé par certaines prises de risques qui n’ont pas du tout payé. Il faut que je continue de me former « à la régulière » et de travailler cette balance entre perte et bénéfice afin de mieux mesurer les conséquences de mes décisions. 

Mon envie de naviguer en équipage vient de là aussi. Après 10 ans à porter seul mes projets et à apprendre en autodidacte, j’ai le sentiment d’avoir atteint le maximum de ce que je pouvais faire en l’état. Naviguer en équipage me permettra de sortir de ma zone de confort, de me confronter à d’autres façons de faire et à m’enrichir du savoir-faire d’autres personnes, à tous niveaux. Je sais qu’il faudrait également que je m’essaye à la régate pure, en participant à des courses en Figaro par exemple, comme j’avais voulu le faire en 2020 avant que le COVID ne chamboule tout. Mais je ne pourrai peut-être pas tout faire, il faudra sûrement faire des choix ! 

Selon toi, quel est le moment clé de ta course ? 

Il y en a plusieurs, mais celui qui a en grande partie définit toute la suite de la course, c’est le moment où je fais un empannage de trop au Sud du Portugal, le moment où je suis mon routage au lieu de suivre mon instinct, et où je me retrouve dans un trou sans vent avec Giancarlo. On est à une grosse semaine après le départ et, à la différence de mes participations précédentes, je n’ai pas eu de coup de mou post-départ, je suis resté focus pendant toute la descente du golfe de Gascogne. Et là, je crois que j’ai flanché. Les fichiers météo annonçaient de la mer très forte au Nord-Ouest, j’ai longtemps douté, et j’ai poussé une heure de trop. J’étais trop à l’Est pour changer d’avis et contourner la bulle anticyclonique par le large. J’ai donc suivi mon routage et ai opté pour la route la plus courte, plutôt que d’aller là où mon bateau serait allé plus vite, en faisant le grand tour par l’Ouest. Sur le moment, cela me semblait être l’option la plus sécurisante. C’était une erreur. 

Le visage de ta course se trouve transformé très tôt sur le parcours, comment fais-tu alors pour rebondir et tenir sur le long terme ? 

Clairement, au niveau du Cap Vert, je me suis dit « J’arrête, je rentre ». Je suis 32e à ce moment-là, mon objectif de Top 15 est quasiment inatteignable sur l’instant, et je n’accepte pas la situation. Je me dis que je vais souffrir pendant toute la couse, que ça va faire comme 4 ans auparavant et je ne veux pas, je ne suis pas venu pour ça. D’autant que devant, ils étaient déjà en train de claquer des records de vitesse et qu’ils me collent 550 milles toutes les 24 heures. Là vraiment, tu te dis que c’est bâché.

Et puis j’arrive à me remobiliser, je me dis que c'est juste un moment de faiblesse, que la course est encore longue, qu’il peut se passer beaucoup de choses. Alors je repars, motivé à remonter un maximum de bateaux, un à un. Je sais que ce n’est pas gagné, que ça va être dur, que ça va prendre du temps, mais je suis décidé à me battre. Ce n'est plus la même course, mais il faut réussir à rebondir et à s’adapter. Rapidement. 

Je suis fier de ne pas avoir baissé les bras, ça montre encore que j’ai cet esprit de compétition et c’est ce qui m’a permis de me reprendre au jeu avec les bateaux qui m’entouraient. Et je peux vous dire que l’intensité de la régate n’est pas beaucoup moins forte qu’en tête de course (rires) !

Tu as donc redoublé d’efforts, avec de nombreuses remontada, qui ont plus ou moins payé…

Je n’ai pas toujours été récompensé de mes efforts, c’est sûr ! Au cap Horn par exemple, j’ai foncé dans la tempête pour tenter de faire le break avec Giancarlo et Isabelle qui avaient décidé de freiner. Je savais que mon bateau était en bon état et qu’il allait tenir, et les conditions étaient favorables à recoller rapidement ceux de devant. Mais quand j’arrive au niveau de Romain, Damien et Jean, on se fait tous arrêter par le front froid de Cabo Frio. Ceux de derrière reviennent, et nous passent même devant en optant pour une option à la côte brésilienne.

Pareil au cap Leeuwin : je sors en tête de mon groupe, je plonge au Sud pour longer la zone d’exclusion et là encore je tombe dans la pétole. Alors ceux de derrière remettent vite du Nord dans leur route et me repassent devant. C’était vraiment une course à l’élastique, où l’élastique n’a jamais rompu. C’était parfois cruel, mais c’est le jeu ! 

Tu as aussi été impacté par des soucis techniques dont nous n’avons peut-être pas bien mesuré l’impact…

Mon problème de safrans était effectivement très embêtant. Le système de roulements dans les bagues a bougé et a créé un jeu d’environ 5 millimètres de chaque côté. Pour diminuer ce jeu, j’étais forcé de naviguer avec le safran au vent relevé, pour limiter la pression que les pelles provoquent lorsqu’elles sont toutes les deux dans l’eau. Or, les bateaux fins comme Hublot, ne sont pas adaptés pour faire du vent arrière avec un seul safran. L'arrière du bateau se fait embarquer, ça décroche, et c’est le risque d’un départ au tas qui plane constamment au-dessus de ta tête. Donc tu serres les fesses tout le temps, parce que plus tu vas vite, plus l'arrière du bateau fait sa vie. Tu ne sais pas si tu vas casser quelque chose à la prochaine sortie de route ou si c’est le safran qui va lâcher avant la fin du tour. 

Quant à mon groupe électrogène, il s’agissait de ma source principale d’énergie à bord et on ne se rend pas compte à quel point nos bateaux consomment d’énergie. Lorsqu’il a commencé à disfonctionner, il ne me permettait plus de recharger mes batteries, juste de les maintenir à niveau. Il me restait alors mes panneaux solaires - mais qui ne fonctionnent pas de nuit ni par temps couvert - et mon hydro-générateur. L’hydro a cassé net au bout de quelques heures d’utilisation. Dans le grand Sud, les panneaux ont fait le job car il fait soleil 20 heures par jour, les batteries étaient tout le temps à 100%. Mais dans la remontée de l’Atlantique, avec la gite et notre cap au Nord, je chargeais à 30, 50% maximum. C’était chaud ! 

Et puis j’ai perdu une voile aussi, comme d’autres, j’ai eu ma pompe hydraulique de foil qui fuyait et que je ne pouvais plus régler aussi finement que d’habitude, mais le bateau ne m’a pas fait de vrai sale coup.

Avec 3 Vendée Globe à 32 ans, que te reste-t-il à découvrir ?

Avant mon premier Vendée Globe, à 23 ans en 2016, je me souviens avoir dit que si j’arrivais à terminer la course, je n’aurai plus grand chose à faire de plus ensuite. Finalement, j’en ai refait deux ! Et les trois étaient très différents, avec le même plaisir et la même satisfaction d’avoir réussi à la fin. Maintenant, parler de repartir une quatrième fois, c’est encore trop tôt. Je veux continuer à naviguer sur ces bateaux qui sont incroyables, j’aime toujours autant le solitaire, mais j’ai envie de plus. J’ai envie d’autres choses, envie de voir du pays, de faire de l’équipage.

Que t’apporterait l’équipage que tes 10 années en IMOCA ne t’ont pas enseigné ? 

Être plusieurs, ça nous tire vers le haut, ça permet de confronter nos points de vue et d’optimiser nos choix, en termes d’analyse météo, de stratégie, de positionnement sur l’eau, mais aussi sur la façon de régler le bateau. Je pense que je connais très bien les IMOCA, je sais faire aller vite mon bateau, mais un oeil extérieur est toujours bénéfique. 

M’ouvrir à d’autres profils, qui viendraient d’autres supports, apporterait aussi un regard nouveau. Notamment sur les réglages, qui sont beaucoup plus fins en régate, au large on reste sur des réglages assez grossiers. 

Et puis on l’a vu : les premiers sur le Vendée ont tous participé à au moins une étape de The Ocean Race. En équipage, tu tires davantage sur le bateau, ça éprouve les machines et ça donne confiance pour pouvoir pousser les limites encore plus loin. 

Ton projet d’équipage Suisse sur The Ocean Race reste donc d’actualité ? 

Plus que jamais ! On m’en parle beaucoup en Suisse, on reçoit des demandes d’informations de la part de marins toutes les semaines, je sais qu’il y a tout ce qu’il faut pour y aller. Il ne me reste qu’à valider le financement pour constituer l’équipage. 

Après le défi mental en mer, place au challenge mental à terre ? 

C’est ça ! (Rires) Les périodes de fin de contrat ne sont jamais faciles. La priorité est de pérenniser ce qu’on a construit avec nos partenaires, afin de construire sur le long terme, et de garantir une certaine sécurité de l’emploi à mon équipe. 

Mais le début d’année a été marqué par pas mal de crises économiques et géopolitiques qui ne nous ont pas vraiment aidés ! Les discussions avec mes partenaires actuels et la signature de nouveaux contrats ont pris plus de temps que prévu, il a donc fallu que je revois mes objectifs, en me concentrant déjà sur la saison 2025 avant de faire des plans sur 10 ans. 

Afin de pouvoir être présent sur The Ocean Race 2027, l’objectif principal est de pouvoir participer à The Ocean Race Europe cet été. Le bateau ne sera peut-être pas modifié avec des grands foils et nos conditions de préparation ne seront pas idéales comparé aux autres équipes, mais le plus important est de lancer ce projet de transmission avec les marins suisses. Ça me tient à cœur.



Photo © Jean-Louis Carli / Aléa 



SPONSORS