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Route du Rhum : Alan refait sa course

12.12.2022


C’est la tradition à chaque arrivée de course. À peine le pied sur le ponton, tous les skippers « refont la course », aux micros des médias, auprès de leurs équipes ou encore entre eux, autour d’un verre et d’un plat chaud. Lors de son arrivée à Pointe-à-Pitre, mercredi 23 novembre, Alan Roura faisait avant tout part de sa frustration de ne pas encore être en mesure de tirer plein potentiel de sa nouvelle monture. Un peu plus d’un mois après le départ, le skipper suisse prend le temps d’analyser son parcours et de « refaire sa course », jour après jour, la tête froide et les souvenirs encore à chaud. 

Mercredi 9/11 

Le départ 

Je suis bien positionné sur la ligne, mon timing est plutôt bon, je suis dans le bon paquet. Mais mes foils en C, conçus pour la portance, ne « crantent » pas assez pour me permettre de rester au près serré. Ma position au milieu du paquet n’est pas tenable dans ces conditions, je décide d’abattre pour m’écarter du dévent de la flotte et conserver de la vitesse. Je passe très rapidement de la 18e à la 32e position.

 Le cap Fréhel

Je suis le bateau le plus au nord quand je vire. Pris dans le courant au niveau de Fréhel, impossible de faire accrocher le bateau. Le groupe des 5-6 premiers parvient à aller à la côte afin d’enchaîner de tout petits bords tandis que derrière, nous sommes en retard sur les courants et le vent tombe complètement. On tire des bords carrés pour se sortir de là, avec toujours le même problème de « crantage » pour mon bateau qui n’a donc aucun appui. La barre est « molle », je suis face à 6 noeuds de courant contraire. Le bateau est peu manoeuvrant et j’encaisse déjà 10 miles de retard. 

Pour passer la porte du cap Fréhel, j’hésite entre aller chercher la bouée au nord pour faire la route la plus directe et passer au sud pour faire un bord en moins. J’opte pour la première option et je perds 5 milles sur la flotte et je me retrouve presque bon dernier. Ce mauvais positionnement ne cessera de me pénaliser dans les heures suivantes, m’obligeant à me recaler constamment et à perdre du terrain au fur et à mesure de mes manœuvres.

Je récupère pas mal de places pendant la première nuit, en anticipant un recalage en fin de côte nord Bretagne qui me permet de toucher les vents de la côte plus tôt que ceux d’à côté. En approche de la pointe Bretagne, trois options se dessinent : passer au nord de l’île d’Ouessant, au sud ou dans le chenal du Four. J’étais trop en retard pour tenter le Four, avec des vents trop changeants au moment de mon passage. Je suis tenté par l’option sud Ouessant, car le courant m’aurait porté, mais je me décide un peu au dernier moment à passer au nord et dois effectuer un bord de replacement qui me coûte encore. 

Jeudi 10/11

C’est le début de 24 heures à tirer des bords, au près, en mettant le plus de sud possible dans ma route afin d’anticiper le premier passage de front. Objectif : éviter le plus gros du vent et de la mer. De nouveau deux options : être le premier à passer le front en faisant cap à l’ouest, ou chercher des conditions plus « safe » en allant plus au sud. Je suis content de mon placement, je suis avec les autres. Les bateaux qui sont allés chercher l’ouest sont vite forcés de redescendre vers nous, mais ceux qui sont passés au sud d’Ouessant ont un meilleur positionnement encore, car je suis finalement moi aussi obligé de redescendre dans la soirée pour éviter le coeur du front. 

Vendredi 11/11 

S’en suit un grand bord au près légèrement débridé. Je dois tenir un près très haut avec mon bateau mais je tiens le rythme. Je suis content, cela prouve que nous avons bien travaillé ce type de conditions durant l’année. Je reviens un peu « dans le match » et ce malgré un ballast qui se remplit et me pénalise en vitesse. 

Samedi 12/11

J’aborde le premier front avec un positionnement favorable par rapport à ceux de devant, qui sont un peu plus nord et qui butent dans la molle après le front. Je récupère un peu de terrain sur eux et parviens à ne pas trop m’arrêter dans la zone de transition entre les deux fronts. Je passe le deuxième front, plus fort, à côté de Louis Burton qui vient de démâter. Soucieux de ne pas entrer en collision avec lui, je ne regarde pas suffisamment l’avancée du front qui me passe dessus alors que je n’ai pas encore préparé mon virement. Je ne suis pas dans le bon timing et je mets 30 minutes à me remettre sur la bonne route.  

Dimanche 13/11

J’entame ma descente vers les Açores : je dois anticiper mon positionnement afin de passer la dorsale tout de suite. Le groupe que je pourchasse part droit dedans, en route la plus courte. Moi, je décide de passer entre les îles pour toucher du vent plus fort et donc aller plus vite. Je vire dans la nuit, mais un peu tard et me retrouve un peu trop sud par rapport à la route que je souhaite avoir.

Lundi 14/11

Cette position me fait toucher la bascule de vent après ceux qui se trouvent plus au nord. Le vent tourne trop tôt par rapport à ma trajectoire, je suis forcé de virer et me retrouve obligé de passer au sud des îles alors que je voulais passer au milieu. 

Mardi 15/11

J’avance, je fais ma route, un peu seul au milieu. Je suis mes routages qui me font toucher la bascule de vent rapidement en sortie d’anticyclone. Je décide alors de glisser carrément plus bas pour arriver plus vite dans la zone de transition. Erreur : je me suis trop appuyé sur les routages alors qu’en dessous de 6 noeuds de vent, l’ordinateur te fait avancer quoiqu’il arrive quand, en réalité, tu es collé. Avec la fatigue j’oublie cette règle. J’ai suivi les bascules « théoriques » mais j’ai perdu du terrain sur ma route fictive et je termine finalement complètement en décalage avec les routages. J’aurais dû rester plus au nord, comme d’autres concurrents, naviguer au près serré, quitte à être plus lent, quitte à me refaire deux bords de plus pour me recaler. C’est là que la fin de course se joue pour moi.

Mercredi 16/11 - Jeudi 17/11

La zone de transition se révèle être un vrai Pot-au-noir. Je tombe dans la molle, le bateau roule, les voiles ne tiennent pas. Je reste bloqué pendant deux jours complets. Le bateau dérive, il suit le courant. Ça me passe au vent, ça me passe sous le vent… Je suis complètement impuissant. À vouloir faire différemment des autres, je me suis fait avoir à mon propre jeu. 

Vendredi 18/11

Je retrouve de l’air, je retrouve de la vitesse, les conditions sont bien meilleures, le bateau est à l’aise. Mais la mer monte et je n’arrive pas à trouver mes marques à bord, les bons réglages, la bonne vitesse. Je ne détiens pas encore tout le mode d’emploi du bateau dans ces conditions. C’est finalement ma première navigation au grand large dans ce type de vent et de mer. Je multiplie les changements de voile pour trouver le meilleur compromis mais le jeu dont je dispose n’est pas le plus adapté. Il me manque par exemple une voile de capelage, à envoyer au bout du bout dehors, je n’ai que des voiles en tête, l’étrave ne se soulève pas et le bateau bute constamment sous l’eau. Je ne vais pas aussi vite que je le devrais dans ces conditions, j’ai un déficit de 2 noeuds constant. Je remonte des places, mais pas suffisamment. 

Samedi 19/11 - Dimanche 20/11

Je mets du sud dans ma trajectoire, pour rester assez haut en angle et aller vite. Je n’ai pas les voiles qu’il faut pour atteindre les vitesses espérées, mais si je remonte plus au nord, je croise derrière le groupe du dessus. Alors je poursuis ma route sur le même bord, j’affiche 17 noeuds de moyenne sur 24 heures. C’est une bonne vitesse mais ce n’est pas assez pour rattraper mon retard. 

Lundi 21/11

Mon routage me fait aller tout droit, sans avoir à empanner jusqu’à me retrouver à 400 milles dans l’est de la Guadeloupe. Je me recale dans la bascule pour préparer ma lay-line (le meilleur bord rapprochant) pour l’île. Je rencontre cependant des soucis de groupe électrogène et je passe une matinée entière « dans la cale » à ne pas pouvoir me concentrer sur la bonne marche du bateau. 

Mardi 22/11

Je rencontre une grosse zone orageuse au sud-est de l’île. Je m’en écarte mais elle me revient dessus au moment d’approcher l’île. Je dois donc constamment adapter ma route aux bascules de grains. J’aurais peut-être pu mieux anticiper ma lay-line pour m’éviter le dernier empannage mais à ce moment-là, je suis surtout dans l’adaptation en fonction des conditions sur zone. 

Mercredi 23/11

Le tour de l’île 

Je recolle bien à Corum après le passage de la marque de la Tête à l’Anglais, mais je me fais bloquer sous le vent de l’île. Je rajoute 5 heures à mon ETA car je passe, moi aussi, 4 heures bloqué devant Bouillante. Je suis cramé. Les derniers bords sont assez classiques d’une navigation dans le canal des Saintes, sous les grains, avec pas mal de bascules, à rouler, dérouler les voiles. 

L’arrivée 

C’est un soulagement. La course a été extrêmement dure, avec des conditions rudes du début à la fin, toujours dans une mer croisée et forte, même lorsqu’il n’y avait pas de vent. Éprouvante physiquement, usante mentalement. Je n’arrive donc pas dans l’euphorie, je suis avant tout content que ça se termine. Ce n’est clairement pas ma meilleure course, je crois que c’est la première où j’ai du mal à sourire à l’arrivée. Un comble ! (Sourire) 

Le premier bilan  


J’ai fait des erreurs qui me coûtent très cher. Au moment de prendre des décisions, je ne suis pas toujours parvenu à anticiper ce que ça pouvait occasionner derrière. J’ai parfois fait des choix sur 2 jours plutôt que sur une semaine, trop dans l’instant présent et pas assez dans l’anticipation. Il y a toujours le problème des fichiers météo qui ne sont jamais les bons, mais c’est la même chose pour tout le monde. Et je n’ai pas été assez bon au portant. On a énormément bossé sur le près cette année, focalisés sur les points faibles du bateau et au final, nous n’avons pas suffisamment  travaillé le portant, ou en tout cas dans ces conditions de mer, au grand large. 

Les points positifs sont que j’ai pris beaucoup de plaisir à naviguer à bord de ce fabuleux bateau et que je m’habitue de plus en plus à voler à haute vitesse ! On se fait vite prendre au jeu de chercher comment aller toujours un peu plus vite et je suis très content de mes performances au près. C’est aussi passionnant de découvrir les « manettes » du bord. Et si j’ai souvent été frustré de ne pas avoir encore toutes les clés en main pour exploiter son potentiel, c’est finalement un mal pour un bien : cela montre que je veux mieux faire et que je suis véritablement en train de devenir un compétiteur. À moi de continuer le travail la saison prochaine pour qu’il continue de payer et se reflète sur les résultats !




Photo © Jean-Louis Carli / Aléa / Bonhôte



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